Commentaire de Claude Deutsch, co-fondateur d’Advocacy

Cher Monsieur,
J’ai donc lu attentivement votre document intitulé "présentation de la thèse de doctorat"
Voici mes quelques remarques :
Je l’ai lu comme un carnet de notes d’ethnologue (il n’est pas obligatoire que l’ethnologue parte en Océanie) bien documenté (c’est effectivement un gros travail). Les erreurs que j’ai pu relever sont bénignes et peuvent être facilement rectifiées (la plus évidente étant que Claude Finkelstein n’est pas la fondatrice de la FNAPSY qui a été fondée par Loïc Legoff, auquel a succédé, à son décès, Jacques Lombard à qui le docteur et éminent psychiatre Jean Michel Kahn a pris la pouque dans une manœuvre habile avant de passer le relais à C. F). Je pourrais, si vous le souhaitez, vous les recenser.
Ce document est vraiment un document préparatoire et ne doit pas être lu comme un projet de thèse. Ce qui me fait dire cela, c’est qu’il ne correspond pas, ni dans la forme, ni dans le fond, aux canons exigés par le formalisme universitaire, à moins que ceux-ci aient beaucoup changé (ça fait déjà cinq ans que j’ai soutenu ma thèse en philo). Qu’en pense votre directeur de recherche ?
— Concernant la forme, on m’a expliqué lors de ma thèse de psycho qu’il fallait prescrire le « je », y compris – comme c’était justement le cas – dans le cadre d’une thèse où il était essentiellement d’un établissement (le foyer Léone Richet à Caen) que j’avais créé et où je jouais un rôle majeur. Les raisons de cela me paraissent aujourd’hui évidentes. Or, non seulement vous abusez du JE, mais ce document est, et c’est certainement voulu, truffé d’appréciations subjectives non explicitées. Vous revendiquez de faire part de vos coups de cœur, ce qui est certes intéressant, mais sort de l’objectivité exigée, de mon temps, pour une thèse de doctorat. Vous revendiquez cette approche subjective, cela se voit aussi dans l’usage, à de nombreuses reprises du langage parlé, voire argotique, en tout cas familier. C’est un choix. Il peut être intéressant pour un blog internet.
— Concernant le fond, mon maître Daniel Widlöcher m’avait appris qu’une thèse doit reposer sur une énigme. Pour ma thèse de psycho, ma thèse a été : Ça sert à quoi, tout ça ? D’où le titre La fonction thérapeutique de l’institution et l’argument clef « C’est en élaborant l’institution que le pensionnaire s’élabore lui-même ». Pour ma thèse de philo, l’énigme c’est « Y a-t-il une alternative à la disqualification des personnes en souffrance psychique ? »
D’où le titre Je suis fou, et vous ? et l’argument clef « Il convient de considérer les personnes en souffrance psychique, non comme des personnes à part mais des personnes à part entière ». Les sous-titres des thèses éclairent la méthode de recherche. Pour la thèse de psycho : " Un modèle de traitement de la psychose par l’institution, le foyer de Cluny de Bellengreville (ancien nom du Foyer Léone Richet). Pour la thèse de philo " De la disqualification à la prise de parole en santé mentale". Poser une énigme permet de tisser un plan de la démarche de recherche. Le but est d’aborder successivement les problèmes que pose l’énigme.
— Ce qui m’a frappé, dans votre "carnet de notes" c’est son côté "état des lieux" et le refus d’argumentation théorique. Pourtant, on sent bien que vous en avez le désir. Cela transparaît dans vos coups de cœur. Je vois deux énigmes possibles qui donneraient à votre travail sa charpente théorique. Peut-être y en a-t-il une ou des autres, c’est à vous de voir en partant de ce que vous voulez, non pas montrer mais démontrer et dont la démonstration ne peut reposer que sur une étude sociologico-ethnographique, une enquête de terrain en pays GEM :
Première énigme possible : les divergences de philosophie, d’obédience des associations porteuses de GEM s’expriment-elles dans les pratiques des GEM ? On peut le penser, et ça reflète l’équivoque ou plutôt la polysémie de la notion d’empowerment (voir l’excellent livre de Bacqué et Biewener) mais ce n’est pas sûr du tout, au vu de l’enquête de terrain (quelles incidences des conditions matérielles, du cahier des charges et l’ingérence des ARS, de la personnalité de l’animateur, du promoteur, etc.).
Deuxième énigme possible : les GEM sont-elles des structures sanitaires (un aggiornamento de la psychiatrie, pour reprendre l’expression de R. Castel) ou des formes modernes de démocratie citoyenne. Sont-elles réservées aux handicapé(e) s psychiques et apparentés ou des modèles duplicables ou au moins applicables à d’autres, notamment dans les quartiers défavorisés. Il est étonnant de lire chez vous cette question abordée sans qu’elle fasse problème. Ceci semble ne pas avoir échappé à Martine Barrès. Une analyse de l’évolution (que vous abordez) des cahiers des charges commence par la lecture serrée de la circulaire de 2005 qui est en grande partie son œuvre et qui pose clairement la différence entre Club thérapeutiques et GEM. C’est à cause d’une dérive, provoquée par la suite par l’administration que le Club des Peupliers et BPBO ont été agréés GEM. D’un autre côté, des initiatives comme les épis d’or ou le soutien de la FdF aux expériences participatives montrent bien que la dimension citoyenne et sociale pourrait être élargie. Là aussi l’étude de terrain sera essentielle. La volonté des décideurs politiques est claire. Elle permet une "prise en charge" à moindre coût, vous l’évoquez sans préciser ce point. Le terrain (les GEM) s’y conforme-t-il (par intérêt) ou est-il sensible à l’air du temps (dans son accueil, notamment, ses activités). À quoi sont dues les variations d’approche entre GEM sur ce point ?
Voilà mes quelques réflexions provoquées par cette lecture.
Cordialement
CD

Réponse :

Cher monsieur,
Merci beaucoup pour ce très intéressant commentaire qui va me permettre d’enrichir la suite de l’écriture (vous êtes le premier à m’avoir fait un retour documenté sur ce texte, à part mon directeur de thèse qui ne connaît pas le sujet).
Oui, j’ai bien conscience de n’avoir fait pour l’instant qu’une pré-enquête et de l’importance de trouver une problématique qui structure l’ensemble de l’œuvre, C’est ce que j’avais réussi à faire sur les services d’aide psychologique en montrant comment on était passé de services d’inspiration religieuse à des services d’État, les fameux numéros vert des années quatre-vingt et qu’à cela avait correspondu toute une évolution des pratiques.
Là, pour ma thèse sur les GEM, je n’ai pas encore vraiment choisi. La comparaison Clubhouse, GEM, club thérapeutique semble être ce qui intéresse le plus mes deux directeurs de Thèse Florence Weber et Jean François Laé. Il faudrait comparer ça aussi aux clubs d’usagers anglo-saxons et canadiens qui ne se sont jamais vraiment développés en France. Je sais également qu’à travers cette thèse je veux montrer que les GEM vont être amenés à remplir de plus en plus de fonctions qui étaient autrefois dévolues aux structures sanitaires et sociales (le GEM comme facteur de baisse des coûts, dont vous parlez en regrettant que je ne me sois pas encore suffisamment penché dessus. Cela fait hurler tout le monde quand je dis ça, mais je suis persuadé que peu à peu les GEM vont supplanter CATTP et hôpitaux de jour dont les budgets se restreignent au fur et à mesure que ceux des GEM augmentent… Je cherche avec gourmandise des cas d’hôpital de jour ayant fermé ses portes, ne pouvant plus faire face à la concurrence du GEM local
Concernant le style, le document que je vous ai envoyé est en effet composé d’une série d’articles de blog. C’est donc écrit dans un style relativement journalistique et grand public. J’essaie de faire un travail qui corresponde également aux standards de la thèse pour ne pas avoir à tout réécrire. Mais c’est vrai qu’il n’est pas évident de faire les deux à la fois.
Voici donc, cher Monsieur, quelques premières réactions à vos aimables analyses que je vais tâcher de compléter ce week-end, dès que j’aurai vaqué à mes occupations quotidiennes.

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