Les GEMs comme nouvelle utopie possible

"Une société qui abolit toute aventure fait de son abolition la seule aventure possible "
R VaneiGem
Ce n’est que par la redécouverte de l’espace du bien-vivre, qu’Illich appelait la convivialité, que les sociétés s’humaniseront.
Des salines royales d’Arc & Senans au familistère de Guise, en passant par Longo Maï puis les TAZ d’Hakim Bey, j’ai toujours cherché l’Utopie et, pour dire vrai, l’ai souvent trouvé. C’est pour cela que, lorsque j’ai découvert les GEM, je me suis dit qu’il y avait un sujet d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’un sujet profondément paradoxal, un sujet un peu méprisé, méconnu… celui de pauvres gens que la société a exclus quand ils ne se sont pas exclus tous seuls. Les GEM sont sans conteste l’évolution structurelle la plus notable de la psychiatrie des quarante dernières années. Jamais on n’avait vu autant de personnes prises en charge et un tel déploiement de structures. On pourrait presque parler d’une véritable révolution copernicienne de la psychiatrie qui donne définitivement le pouvoir à ses usagers et ex-usagers de reprendre le contrôle de leur vie. Ce nouvel objet est hors de l’institution médicale. Celui-ci pourrait aider à nous faire passer de la psychiatrie dictature que nous connaissons trop souvent aujourd’hui à une forme plus démocratique ou chacun des acteurs ait la liberté de prendre son destin en main.
J’ai donc commencé à fréquenter quelques GEM sans forcément beaucoup m’y retrouver. Je suis trop habitué à vivre ma vie à 100 à l’heure, où je veux et quand je veux, pour vouloir vivre dans ce type de communauté. J’y ai souvent, en revanche, trouvé une joie et une douceur de vivre à plusieurs que l’on ne voit plus très souvent ailleurs, de l’art de co-habiter, de vivre ensemble harmonieusement, de se reconstruire doucement, de s’apporter les uns les autres.
Soigner la société, prendre soin de soi
Si au premier abord on peut trouver certains GEM un peu moroses et pas franchement accueillants, en assistant à leurs réunions hebdomadaires, en y vivant au jour le jour et en participant aux repas collectifs quotidiens, on s’aperçoit qu’il y a aussi de véritables dynamiques qui se mettent en place. De fait, les adhérents des GEM, d’isolés dans leur coin qu’ils étaient jusqu’à leur rencontre avec le GEM, mènent souvent une vie plus riche et diversifiée qu’une bonne majorité des français (ils sortent plusieurs fois par semaine, ont des loisirs variés, se retrouvent tous les jours entre amis…). Les GEM, ont ainsi permis, au cours de ces 15 dernières années à quelques dizaine de milliers de personnes de sortir de leur isolement et d’ainsi revivre.
J’y ai donc vu toute la richesse qui pouvait advenir de ces lieux, que ces lieux qui étaient là pour prendre soin des gens, pouvaient également soigner la société. Certes une pauvre richesse (on ne transforme pas à ce point le plomb en or), mais une richesse quand même, celle qui permet aujourd’hui à 25 000 personnes, socialement mortes et exclues depuis parfois plus de dix ans, de vivre de nouveau une vie riche et de participer de nouveau à la vie sociale. C’est un long et parfois très long cheminement pour des personnes qui ont toute leur vie été obligées de vivre au rythme d’une institution totalitaire où jamais on ne leur a demandé ce qu’elles voulaient. C’est tout le mérite de la recherche-action menée de 2014 à 2018 avec Advocacy d’avoir montré comment impliquer les gémeurs dans le débat public et sortir de la passivité qui est souvent la leur : le manque d’implication est un reproche récurrent des animateurs et présidents de GEM envers leurs adhérents. Il y a quand même des GEM plus militants que d’autres, même s’il ne représentent moins de 10 % des GEM. Les GEM du 93 et du 95 participent aux Semaines de la Folie Ordinaire, ceux de PACA viennent de participer très activement à la journée Printemps de la psychiatrie du 25 juillet 2019. Les GEM d’Advocacy sont aussi assez combatifs pour le respect des droits qui est à la base de la création de cette association.
Les GEM pour aider la société tout entière
In fine, l’idée maîtresse de cette thèse sera que les GEM aident non simplement les personnes en situation de handicap psychique mais aident la société tout entière à se renouveler dans un sens plus inclusif et solidaire. Pour paraphraser Oury qui disait que la psychothérapie institutionnelle était là pour soigner l’hôpital, on pourrait dire que les GEM, par un étonnant renversement de paradigme, soignent la société en lui montrant la voie pour de nouvelles formes d’organisations, plus humaines et plus collaboratives, en dehors du marketing et de la consommation à outrance dans une société ou le travail disparaît peu à peu… Le GEM, de lieu d’accueil pour âmes en détresse où l’on se contente, il est vrai parfois, de jouer aux cartes (mais n’est-ce pas justement le principe d’un GEM d’y faire ce que l’on veut) peut aussi devenir lieu de vie et d’auto-organisation où se recréent de nouvelles communautés humaines et de nouvelles formes d’organisation de la vie sociale, utiles pour tout le monde (création du potager du GEM qui permet une certaine autosuffisance alimentaire, actions humanitaires, animation de la vie locale – participation aux Réseaux d’Échange de Savoir, RES, et Systèmes d’Échanges Locaux, SEL-1) À travers cette étude, je veux construire l’objet sociologique GEM, peut-être un peu comme ce que j’avais fait dans le « Que Sais Je » sur les services d’aide psychologique par téléphone. Elle permettra aussi d’analyser sous un angle original l’évolution de la société du post-travail.
Passerelleco réseau pour l’écologie pratique et les alternatives éco-villageoises.
Solidarum, Base de données de connaissance pour l’invention sociale et solidaire