Patrick Pharo

Patrick Pharo vient de publier Éloge des communs aux PUF et, comme il l’avait déjà fait ici pour son précédent livre, il a aimablement accepté de répondre à des questions pour présenter celui-ci pour nos lecteurs.

Nonfiction : Vous approfondissez dans ce livre le diagnostic que vous aviez porté sur la société actuelle dans votre précédent ouvrage, Le Capitalisme addictif (PUF, 2018), en montrant que la colonisation du désir et fabrication d’addictions à des fins commerciales, amplifiée par les technologies numériques, qui caractérise selon vous le capitalisme actuel, a contribué à éroder chez les individus tout sentiment de communauté, ou tout au moins de communauté élargie. Pourriez-vous, pour commencer, expliciter ces points ?

"Patrick Pharo : Le lien de communauté avec sa famille, ses coreligionnaires ou ses compatriotes paraît en effet plus évident que le lien de communauté élargie avec le premier venu. Et pourtant, lorsqu’on est en panne sur une route inconnue ou en détresse à la porte d’un hôpital, c’est du premier venu qu’on attend le salut, et, en général, ça finit par marcher : on trouve quelqu’un pour vous apporter l’aide requise. Le lien de communauté avec le premier venu nous rattache en effet à une même condition biologique et un même désir d’entraide mutuelle qui se développe lorsque le petit humain prend naissance dans une communauté inconnue, dont il est entièrement dépendant pour sa survie.

Ce lien de communauté indifférenciée est cependant plus ou moins vivace suivant les circonstances historiques et sociales. Il a été ainsi fortement cultivé jusqu’au milieu du vingtième siècle par les idées socialistes et l’esprit de résistance au nazisme, avec dans l’après-guerre les plans économiques de reconstruction et les grandes réformes sociales. Il a été en revanche fortement atteint par quarante années d’économie addictive, privilégiant la recherche de performance économique et la stimulation des désirs individuels de succès et de récompenses sur toute autre considération écologique, sociale ou de solidarité avec les populations en détresse. Les transformations du travail, de plus en plus émietté et précaire, et l’arrivée d’Internet qui enferme les individus dans des bulles séparées et péremptoires, n’ont fait qu’accentuer le phénomène. Et la peur des indésirables, qui est l’opposé exact du désir de communauté dans l’archéologie des sociétés humaines, a pu être exploitée sans vergogne par des propagandes populistes visant les migrants, les assistés, les élites..."

Interview sur le site non Fiction